J'ai un ami, appelons-le Q, qui voyait une fille, juste comme ça, histoire de s'occuper. Comme il n'en avait pas grand chose à faire, il avait peur qu'elle s'attache (pourquoi les hommes sont toujours persuadé qu'on va forcément s'attacher et tomber très amoureuse d'eux, c'est un autre débat...) Il essayait donc toujours de se montrer froid avec cette fille, appelons la S, et ça ne marchait jamais. Pourquoi voulait-elle malgré tout continuer à le voir ? Certainement parce qu'elle n'en avait pas non plus grand chose à faire de lui et qu'elle ne voyait donc pas où était le problème. Mais surtout, le fond du truc, c'est qu'elle ne comprenait pas le langage de l'homme, tout comme lui ne comprenait pas le langage de la femme.
Démonstration par l'exemple.
Un jour, S demande à Q s'ils peuvent se voir. Il répond, par SMS : « Je bosse. Je vais essayer de dégager du temps. Bisous ». A ce stade, il est très fier de lui. Il me dit : « T'as vu comment je l'ai envoyé bouler ? Ça c'est de la froideur, hein ? Genre je bosse j'ai autre chose à faire, j'espère qu'elle a compris ». J'écarquille les yeux très très fort, je toussote un peu et j'explique, avec la voix qu'on prend pour expliquer aux enfants qu'ils ont fait une bêtise, que non, c'est raté et qu'elle ne va pas le lire comme ça du tout. Qu'elle va rajouter des trucs entre les lignes, forcément.
Parce que bon, soyons clair, la première phrase ne pose pas trop de problème, sauf qu'elle n'aura pas l'effet escompté. Elle va comprendre qu'il bosse, oui, mais elle sait qu'il bosse beaucoup et qu'il ne compte pas ses heures (pour replacer dans le contexte, Q n'est pas un jeune cadre dynamique, Q est un type qui, quand il bosse, commence à 9h et finit à 3h du matin en étant enfermé dans un genre de bocal). Elle ne va pas se sentir rejetée par cette phrase. Limite, elle va se dire, « ah, oui, le pauvre, il bosse comme un fou, c'est pas de sa faute, le pauvre ». Ça risque même de l'attendrir... En tout cas, il est peu probable qu'elle se dise que le « je bosse » voulait dire en vrai « fiche moi la paix ».
Surtout que derrière, il dit qu'il va « essayer de dégager du temps ». Ce qui veut dire, une fois passé à la moulinette d'un cerveau féminin, qu'il est embêté de bosser, et qu'il va faire son mieux pour réussir à la voir quand même. Pire, ça peut même vouloir dire qu'il va faire des efforts pour la voir. Donc, si on pousse le raisonnement plus loin, en étant vraiment optimiste, ça veut dire carrément qu'il est motivé. A ce stade, Q est franchement désespéré par mes explications. Et je l'achève : « Et pourquoi tu as mis « bisous » à la fin, hein ? Pourquoi t'as mis bisous ? A la limite, si tu n'avais rien mis ça aurait pu paraître vaguement froid, mais là... ». Il me répond, penaud, que bisous il le met dans tous ses texto, que c'est comme une signature, une façon de finir ses messages. Rien de gentil ni de tendre ou de sexuel là dedans. Rien de personnel en tout cas. Bisous à sa mère, à ses potes, à sa maitresse, à tout le monde quoi. Oui mais là non ! (je m'énerve un peu). Faut pas mettre bisous si on veut être froid quoi, zut !
Il s'est avéré que S avait bien lu le texto comme une fille. En rajoutant des lignes et des non dits. Alors, pour être clair et froid, il aurait du écrire « Je bosse. Pas le temps en ce moment. A+ » (encore que sur le « a+ » j'hésite, parce que ça peut vouloir dire « à bientôt », si on refuse vraiment de comprendre, et dès fois, on refuse vraiment de comprendre... Faut se méfier.
En même temps, les hommes ne sont pas les seuls à ne pas réussir à se faire comprendre par les femmes. Ça marche dans les deux sens. Parce que nous les filles, on a tendance au contraire à délayer l'information. A l'entourer de plein de circonvolutions, à faire des traits d'humour, à ne pas dire exactement ce qu'on voudrait dire, d'une phrase simple et claire, mais plutôt à faire des tours et des détours pour faire passer un message. Message qui est rarement compris, noyé qu'il est dans le flot d'information... Moi, je ne peux pas m'empêcher de tourner autour du pot, d'en rajouter des tonnes, alors que la seule info à retenir est aussi basique que « quand est-ce qu'on se voit ? » ou « tu me manque » par exemple. Mais maintenant j'ai trouvé la parade. Parce que je suis trop frustrée si je me contente d'une seule phrase. Alors je me fais plaisir en écrivant des tartines de texte, et à la fin, je traduis en une phrase. Comme ça, j'obéis à mes instincts et en même temps, je suis sûre d'être comprise. Du moins, s'il lit ma prose jusqu'à la fin. Ce qui n'est pas forcément gagné...